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L’ESPRIT PARFOIS RETOURNE…


J’étais une enfant triste, enivrée et chétive,
Avec je ne sais quoi de fort comme la mer
Qui ne saurait manquer, alors qu’il faut que vive
Un corps léger qu’anime un ouragan amer.

La nuit, me soulevant d’un lit tiède et paisible,
M’accoudant au balcon, j’interrogeais les cieux.
Et j’échangeais avec la nue inaccessible
Le langage sacré du silence et des yeux.

Ah ! que je me souviens, enfant grave et profonde,
De vous qui fûtes moi ! Comme j’entends encor
Les grenouilles chanter, ces cigales de l’onde,
Dont l’humide gosier, pareil au son du cor,

Mène autour des bassins une pleurante chasse
Où passe le galop léger du temps qui fuit :
Ce galop délicat, ténébreux, plein d’ennui,
Qu’absorbe sans répit le nonchalant espace…

J’entendais cette plainte et je voyais les cieux,
L’ombre nouait à moi ses frais rubans qui mouillent,
Et j’écoutais perler le sanglot des grenouilles :
Roucoulement de bois, hoquet mystérieux.