Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/274

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Si forte qu’eût été l’ombre sur vos visages,
Sublime Trinité ! j’eusse écarté la nuit,
Mon esprit vous aurait poursuivie sans ennui,
Et j’aurais abordé à votre clair rivage…

Mais jamais rien à moi ne vous a révélé
Seigneur ! ni le ciel lourd comme une eau suspendue,
Ni l’exaltation de l’été sur les blés,
Ni le temple ionien sur la montagne ardue ;

Ni les cloches qui sont un encens cadencé,
Ni le courage humain, toujours sans récompense,
Ni les morts, dont l’hostile et pénétrant silence
Semble un renoncement invincible et lassé ;

Ni ces nuits où l’esprit retient comme une preuve
Son aspiration au bien universel ;
Ni la lune qui rêve, et voit passer le fleuve
Des baisers fugitifs sous les cieux éternels.

Hélas ! ni ces matins de ma brûlante enfance,
Où, dans les prés gonflés d’un nuage d’odeur,
Je sentais, tant l’extase en moi jetait sa lance,
Un ange dans les cieux qui m’arrachait le cœur !