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JE T’AIME ET CEPENDANT…


Si vous m’aimez, dites combien vous m’aimez…
Shakespeare (Antoine et Cléopâtre).

Je t’aime, et cependant, jamais tes ennemis
Contre ton doux esprit ne se seraient permis
La lucide, subtile et lâche violence
Que mon amour pour toi exerçait en silence.
Je t’aime et, dans mon cœur, je t’ai fait tant de tort
Que tu fus un instant devant moi comme un mort,
Comme un supplicié que la foule abandonne,
À qui sa mère, enfin, ne veut pas qu’on pardonne…
J’ai méprisé ta joie, ta peine, ton labeur,
Ta tristesse, ta paix, ton courage et ta peur,
Et jusqu’au sang charmant dont je vis par tes veines.
Mes yeux ne voyaient pas où finirait ma haine ;
Mais j’ai fait tout ce mal pour ne pas défaillir
Du seul enchantement de ton clair souvenir ;