Page:Noailles - Les innocentes, ou La sagesse des femmes, 1923.djvu/183

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notre volonté, qui ne dépend pas d’elle-même, — mais j’espère, et même je prévois de mourir peu à peu, sans beaucoup tarder. À qui parlerai-je désormais, sinon une fois encore à vous, par cette lettre sans secret ? La violence que suscite l’amour trahi, ces bonds de l’âme qui soulèvent le corps et le précipitent sur des abîmes d’horreur où l’on reste suspendu, sans qu’aucune force naturelle nous entraîne hors de cette chambre hideuse et sans péril jusqu’au repos de la tombe, il est, Dieu merci, des médicaments qui les apaisent, qui les endorment, et l’on peut connaître la torpeur. Mais je vais vous dire le mot le plus profond de la douleur humaine, si l’on y met l’accent de lassitude et d’infini qu’il comporte : — Je m’ennuie.

Depuis que j’ai cessé d’aimer celui que nous aimions, — et l’abandon nous fait croire que nous n’aimons plus quand nous mourons de cette passion même, — je m’ennuie. Rien ne me semble nécessaire, ni acceptable, ni possible. Si ce transfuge entrait en ce moment chez moi, il me semble qu’au lieu de me soulever vers sa présence, par une loi d’ascension éblouie que j’ai tant connue, je resterais engourdie sur mes oreillers, pareille à ces enfants endormis à qui leurs parents viennent souhaiter un tardif bonsoir, et qui, mal réveillés, opposent un grondement hos-