Page:Noailles - Passions et vanités, 1926.djvu/35

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possible et posthume sauvetage, de la farineuse rondeur des pommes de terre nues, le turbot, vaste et plat, étincelle. Seule persévérance dans un univers où tout est changé : les usages, les modes, les plaisirs et le cœur même, le turbot, lui, subsiste.

Turbot inévitable, offrande des eaux profondes, vaisseau naturel, porteur de sel et d’iode, dans votre blanche peau bouillie, grenue comme le riche tissu de soie qu’on nomme crêpe romain, vous reposez sur la serviette cotonneuse, armé d’arêtes guerrières, sorte de samouraï vaincu et tombé sur le flanc. Vous êtes comme poignardé à la hauteur du cœur ; votre col s’évase, la blessure descend, et l’on vous voit béant sur votre délicat squelette de nacre. C’est vous, habitant magnifique et coûteux des mers, le symbole de l’estime dans laquelle le maître de maison tient ses hôtes ; vous indiquez le dîner plein d’honneur, le salut au mérite, les obligations rendues au Ministre, à l’Académicien, au Maréchal, à l’Ambassadrice, à l’Étranger.