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INTRODUCTION

vaincante, contagieuse. Je me trompais. Peu d’êtres nous connaissent. On peut influencer autrui, l’imprégner, l’envahir même, on ne le transperce pas, on n’interrompt pas en lui sa solitaire et dure continuité par laquelle il nous est contradictoire ; la passion seule, sa férocité, son acquiescement habile et tendre à tous les sacrifices, parvient à mêler les êtres. De là, sans doute, cette tentation perpétuelle de l’amour et ce besoin d’une tyrannie et d’une servitude alternées qui permettent le brisement et l’absorption de ce que l’on convoite. L’étonnement que m’ont si souvent procuré les interprétations les plus déformantes, cette absence de nous qui se trouve dans la plupart de nos biographies, m’ont, enfin, décidée à me prononcer moi-même.

Le bienfait de l’écriture personnelle est donc probablement qu’on y entend le son de la voix, l’émotion charnelle, les vibrations physiques, la respiration. Écoutons ce cri défensif d’un philosophe irrité : « Le style est inviolable ! » En effet, autant cette appréciation est juste, autant il est juste de constater l’unicité de tout individu. Qui solliciterions-nous d’être nous, de nous représenter, de nous révéler dans les mouvements de notre intelligence et de nos passions ? Nos défaillances mêmes, nous les voulons voir marquées de nos tremblements et de nos sueurs, chargées de ces sursauts d’énergie, de ces puissantes résur-