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LE LIVRE DE MA VIE

imaginatif, verbal, lyrique, et davantage encore à ma sœur, dont le charme secret et tenace était pareil à certains parfums qui ne diminuent pas d’intensité, me criait d’aussi loin qu’il me voyait, — de cette voix soleilleuse de Provence, qui un jour s’emporte contre ceux qu’il avait aimés, et les méconnut : « Pas de zèle ! » Il espérait me déshabituer des vibrantes dédicaces que j’adressai sur mes livres aux plus négligeables écrivains, et, parodiant mes formules d’excessive politesse, il affirmait plaisamment que je signais volontiers : « Votre admiratrice rougissante. »

Certes, il se pourrait qu’en telle occasion vraiment éclatante, favorable et opportune, l’intelligence et le goût fussent envieux. L’envie, rêveuse, passive, sans action, ne me paraît pas blâmable ; c’est une constatation de la beauté, un souhait d’élévation et de communauté. J’ai connu des envieux, je sus leur plaire et me les gagner. Il est un remède à l’envie : Ce qu’il est juste d’envier, il s’agit seulement de l’aimer. Alors, l’émulation seule demeure, mêlée de tendresse et de gratitude envers ce qui fut en droit d’exciter notre convoitise.

En même temps que paraissaient, dans la Revue de Paris, mes premiers poèmes, que leur franchise, leur arôme de bourgeons et de fruits pénétrés d’abeilles, firent tendrement priser, Marie de Heredia, qui venait d’épouser M. Henri de Régnier,