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LE LIVRE DE MA VIE

publiait, dans la Revue des Deux Mondes, sous la légère signature de « trois étoiles », des vers purs et plaintifs, émanés, eût-on pu croire, de la gorge d’une imprudente Nausicaa menant ses jeux au bord du fleuve funèbre et apitoyant par sa grâce de créole, nourrie de miel ionien, l’antique nautonier. Longue, ambrée, mollement coiffée d’une avalanche de cheveux bleus, cette fille mystérieuse des nuits semblait avoir cueilli l’énigmatique figure astrale qui terminait ses chants parmi les constellations, dans la céleste Chevelure de Bérénice, aux abords d’Andromède et de Cassiopée. Paris, à qui l’univers fait écho, s’émut au son de ses strophes surprenantes, dont la mélodie, la couleur, le sanglot, ne cessèrent jamais plus de me séduire. Ainsi le firent ses romans félins et mélancoliques, — comme elle veloutés, malicieux, fringants, et comme elle affligés.

Plus tard fit irruption un écrivain longtemps voilé, qui, de son beau visage aigu de renard déchiré à tous les buissons aromatiques, troua la trompeuse dentelle appliquée sur tant de force acérée. Et l’on vit apparaître, lasse de dissimulation, provocante, effrontée, sûre de soi, paisible aussi comme Cybèle, énigmatique comme la déesse africaine, chatte et tigre, Colette, aux yeux de puissante naïade avisée. Ce nom délicat, naïf, jusqu’alors porté par des jeunes filles qui suggéraient la vision de leur pensionnat distingué, de