Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

115
LE LIVRE DE MA VIE

ment ma conscience triste, où l’on avait introduit un sentiment de culpabilité.

Par ces récits où dansent autour de ma tête enfantine de légères auréoles, peut-être croit-on que la petite fille dont les parents faisaient briller les mérites en toute occasion était sans cesse l’objet des mêmes faveurs. Bien au contraire. J’ai déjà signalé la dureté, le manque de douceur des gouvernantes. Dès qu’on me remontait à l’étage supérieur, où se trouvait notre appartement d’enfants, un réel martyre commençait pour moi. L’humeur irritée et souvent excusable des filles étrangères à qui nous étions livrés la plupart du temps, s’exerçait sur moi, sensible à toute parole, alors que mon frère échappait à la hargne de ces corps dépaysés, par la considération que leur inspirait un garçon, et que ma sœur, esprit secret, solide, inentamable, les laissait indifférentes. J’ai gardé de mon enfance, dont j’ai marqué les points lumineux, les étroites îles d’or, un souvenir si pesant, si cruellement et justement offensé, que toute détresse me semble moins injurieuse que ce déséquilibre sans nul recours où se trouvent la sagesse et la droiture de l’enfant, menacé par les forces frivoles de ceux qui le gouvernent.