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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/128

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LE LIVRE DE MA VIE

autant qu’à la mienne, et déjà habituée à distribuer avec une sorte d’autorité judicieuse les médicaments que je jugeais expédients, je traitais la pitoyable Protésie comme je me traitais moi-même ; je lui portais des cachets et des pilules, je lui indiquais la manière d’appliquer des compresses afin d’assoupir la douleur. Ainsi j’attirais sur moi les bénédictions de la nombreuse famille et du voisinage ému. Un jour, j’appris que Protésie, dont tout Amphion disait : « Elle a la même maladie que Mlle Anna », venait de mettre au monde un petit enfant malingre, conçu dans le vertige et l’ébriété du hameau en fête d’Amphion-la-Rive. Cette leçon ne me découragea pas. Le j’ai la même chose que vous, dit charitablement à la penaude campagnarde qui sentait la brebis, le fromage, la fumée de la soupe éternelle qui bouillait comme un encens vers des dieux végétaux, sur le fourneau de ses parents, devait être répété souvent encore par moi.

Une de mes jeunes amies du lac, que l’on me permit d’aller voir dans un sanatorium, était fort éprouvée par une anémie cérébrale. Couchée dans une position inclinée, les pieds plus haut que la tête, elle me semblait manquer, ainsi que ses compagnons d’infirmité, au noble respect humain par une exhibition loyale et triste.

Je tins à lui affirmer, faisant allusion à des moments de cruelle fatigue que l’insomnie m’infli-