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LE LIVRE DE MA VIE

poésie qu’elle aimait, retenue par ma visible douleur, elle obtint ma confiance. Je répugnais pourtant à lui décrire mon intolérable malaise, tant il me semblait indigne de songer à moi lorsque souffraient tous les corps. Silencieuse, souriant par gratitude, je lui laissais le choix des divertissements qu’elle souhaitait m’apporter : chants espagnols, lancés avec audace et imitative pétulance ; esquisses de fandangos et bruits de castagnettes ; dictons cités dans l’idiome de toutes les provinces de France ; confection, au centre de la chambre languissante où je semblais un blessé au repos, de mets pittoresques, qui mélangeaient la tomate avec l’olive, le piment, le maïs, sur un ingénieux appareil électrique. C’était un des charmes de ma neuve et sensible amie, nomade que tour à tour chaque pays avait conquise, de croire que la polenta reconstituait Naples et la pauvreté chantante du Pausilippe ; la tomate ou le piment, un cabaret à Burgos ; l’olive, les auberges d’Agrigente.

Je subissais avec reconnaissance sa bonté inventive qui s’ingéniait à me procurer toutes sortes de distractions sans parvenir à m’apporter le moindre secours. Mais, un jour, j’entendis la bénévole visiteuse, à qui je m’étais comparée en souvenir d’une mélancolie de jadis, dont elle m’avait fait la confidence, s’irriter contre moi, tant sa nature pétillante était loin de pouvoir s’apparenter à ma détresse. Et elle prononça ces paroles