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LE LIVRE DE MA VIE

J’attendais donc avec impatience mon entrée au nouveau cours de solfège. Quelles ne furent pas ma stupeur, mon incrédulité, ma détresse, suffocante en sa résignation, lorsque je vis que l’on me conduisait exactement dans la même pièce du local habituel et à la place même que j’occupais quelques mois auparavant ! Comment ! le nouveau n’était pas du nouveau ? On pouvait entendre de grandes personnes loyales comme ma mère dire : « Ce ne sera pas comme l’année dernière » et se retrouver au même endroit, frustrée de la magie du changement ? En dépit de toute promesse, j’étais bien sur le banc de cuir étroit et long qu’il fallait soulever et rabattre pour s’y glisser, devant la table commune garnie de reps grenat, qui m’avait ennuyée, désolée, pendant toutes les classes de l’année précédente ? Où donc étaient la merveille, l’aventure espérée ? Hélas ! nulle modification ! L’étendue et l’espace étaient-ils donc si indigents qu’ils ne pussent pas m’offrir autre chose que cette morne continuité ? L’étonnement et la déception que je ressentis éveillèrent en moi, d’une manière subite, réfléchie, le sentiment de l’atmosphère et de l’étourdissant Cosmos. Jusqu’à ce jour, j’avais appartenu par le printemps de l’avenue Hoche, par les étés jubilants d’Amphion, à la nature terrestre, à sa prodigalité, à son ciel amical : prairies d’en haut, coupole tutélaire que je croyais arrondie avec tendresse sur la famille humaine ; voûte