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LE LIVRE DE MA VIE

don que font les villes au regard des généreuses campagnes. Je voyais bien que, dans le parc Monceau, orgueil végétal de notre voisinage, une colonnade faussement en ruine entourait un étang de couleur grège, ou quelques cygnes et des canards aux teintes franciscaines rehaussées d’une lueur de lophophore se résignaient à la nostalgie dédaignée des bêtes. J’entendais bien le lointain et triste effort de l’omnibus et j’apercevais, roulant dans les avenues sablées du parc, des fiacres surprenants par le cheval délabré, le cachot vitré de la voiture et les blanches pèlerines étagées du cocher, tandis que, le long des pelouses encombrées de nourrices et d’enfants, des sergents de ville semblaient commander aux moineaux.

J’étais un cœur que l’on ne trompait pas. J’aimais la nature. Enfant, j’en eus faim et soif, je ne voulais rien qu’elle. Loin d’elle, je mourais, et le chalet, les routes, le lac, les collines de Savoie me causaient, quand j’étais parmi eux, un enivrement et, quand j’en étais éloignée, une détresse, dont dépendaient ma santé ma secrète humeur : énigmes qu’une enfant, dans sa mystérieuse bravoure, n’interroge pas. Sur les trottoirs de Paris, mon esprit, façonné avec précision, se représentait la huppe violette de la scabieuse, son arôme effilé, le papillon blanc strié de noir qui s’échappait de la fleur, le merisier aux cerises exiguës, l’agneau des pâturages trempé de rosée, aussi passionné-