Aller au contenu

Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

15
LE LIVRE DE MA VIE

médiocre hauteur qui ne me privait pas de la vue du ciel. Chaque matin, à l’heure où le branle-bas de la voiture du laitier pénétrait dans notre sommeil enfantin et le dérangeait, la poésie des cloches émanait d’une invisible église enfouie dans la grisaille des constructions et me consolait du lever du jour.

Je n’ai pas aimé la demeure élégante de mes parents, je n’ai pas aimé l’avenue Hoche qu’appréciaient et honoraient fort les Parisiens, victimes des perspectives resserrées ou des bruyants boulevards. Cet aspect de mausolée, de cimetière surhaussé qu’avait notre horizon, cet avare oxygène qu’il nous distribuait, ne me paraissaient pas être le lieu raisonnable où se développent le corps et l’esprit des enfants des hommes. Et pourtant, au printemps, la nature, si durement chassée des villes, s’efforçait de nous apporter son regard, sa tiède poignée de main, son encouragement. Les platanes robustes du quartier de l’Étoile égayaient par leurs bourgeons la grise avenue dès le mois d’avril, s’épanouissaient en juin et puis laissaient rouler sur les trottoirs leurs fruits délicats, sorte de molles noisettes épineuses, d’un vert réjouissant. Mais cette faible offrande, pas plus que le voisinage du parc Monceau, où, pourtant, abondait la verdure morcelée, ne me persuadait. Je ressentais avec la tristesse amère des profondes loyautés et de l’espérance trahie la différence du