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LE LIVRE DE MA VIE


D’abord la Giralda, dont l’ange d’or scintille,
Rose dans le ciel bleu, darde son minaret ;
La cathédrale énorme à son tour apparaît
Par-dessus les maisons, qui vont à sa cheville.

De près, l’on n’aperçoit que des fragments d’arceaux :
Un pignon biscornu, l’angle d’un mur maussade
Cache la flèche ouvrés et la riche façade.

Grands hommes, obstrués et masqués par les sots,
Comme les hautes tours sur les toits de la ville,
De loin vos fronts grandis montent dans l’air tranquille !


Comment décrirai-je l’émotion respectueuse ressentie au dernier tercet, quand l’oncle Paul me faisait remarquer que l’esprit s’arrachait à l’orfèvrerie du verbe pour atteindre un juste infini ! Ainsi, j’habitais un palais sur le Bosphore ; autour de moi croissaient les arbres et les fleurs que l’imagination situe au paradis ; j’entendais nommer par des sonorités ravissantes les plus beaux paysages qu’offrait l’horizon ; on me désignait au loin, sur la rive d’Asie, les Vergers de Beylerbey, où avait joué, adolescente, la mère d’André Chénier, et, pourtant, au cours de leçons poétiques qui me transportaient, je détournais ma pensée du présent, je me penchais vers l’Espagne, je me réfugiais sur les bords du Guadalquivir, je rêvais à la Giralda, tant il est exact que la joie,