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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/201

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LE LIVRE DE MA VIE

turcs, que m’avaient offertes ma cousine Irène et le vénérable Théodore Baltazzi : bijoux en filigrane, piécettes en émail bleu, où le nom du sultan traçait, en traits réduits semblables à des griffes argentées, un léger vol d’hirondelles. Deux fois par semaine, nous l’avions promis, nous écrivions à ces cousines, à ces cousins aînés. Ne sachant quelles nouvelles opportunes communiquer de si loin, nous répétions les formules de l’affection incessante. Ma mère, qui corrigeait nos lettres et qui appréciait la sobriété d’expression qu’elle tenait de ses éducatrices anglaises, s’irritait de lire plusieurs fois par page : « Très chère Irène ; très chère Aspasie ; très cher Stavro. » Timides, réprimandés par elle, nous la jugions un peu dure de cœur ; mais les enfants ne savent jamais si leurs parents n’ont pas raison contre eux et, bien que ne renonçant pas à nos tendresses excessives, nous les jugions peut-être blâmables en leur exaltation.

L’hiver, qui, dans le royaume des images et des sensations, éteint des feux, en allume d’autres, colle aux vitres une atmosphère qui rend l’imagination abstinente et, par l’éclat des lampes et de l’âtre, pousse vers l’âme songeuse des rayons brûlants, nous détacha peu à peu de nos affections de l’été. La vie s’organisa sous la direction retrouvée de M. Dessus et du docteur Vidal. Nous admîmes que le sérieux eût ses agréments, son effervescence.