Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

234
LE LIVRE DE MA VIE

surgir une neuve, gracile et naïve Aphrodité ; les mains jointes, j’avais contemplé les couchers de soleil silencieux et pourtant, par leur emphase, déclamatoires. Sollicitée par leur appel mêlé de quotidien adieu, j’avais souhaité me précipiter en eux, m’engloutir dans leur draperie écarlate, y périr triomphalement.

À présent, l’Exposition Universelle m’offrait tous les aspects du globe, venus se poser près de nous à grands coups d’ailes, comme d’extravagantes et dociles colombes. On se rendait aux étalages des nations avec une sorte de gloutonnerie curieuse, décidé à tout voir, à tout palper.

Si malaisées étaient encore à cette époque les communications, que le pavillon de l’Angleterre, verni, rustique, confortable, fleuri de chèvrefeuille et de buissons d’anthémis, achalandé de pâtisserie au gingembre et de thés odorants que présentaient des Cingalais, aux longs cheveux relevés sur le crâne par un peigne féminin, éblouissait l’imagination. Le chalet du Danemark, clair bâtiment de bois résineux, orné de son drapeau simple et net, faisait penser à un brick arrêté sur une mer froide, cependant que l’isba moscovite, modeste chaumière sur la porte de laquelle souriait bonnement, sous un fichu rouge enveloppant la tête et noué autour du cou, une jeune femme tartare, aux pommettes hautes et rondes, donnait le vertige des distances incalculables.