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LE LIVRE DE MA VIE

peau tricolore à nos fenêtres, comme ils le faisaient à la leur ; enfin, que nous puissions ne pas vivre et mourir pour ce qui leur était cher et sacré m’eût semblé impossible autant que comique.

Le 14 Juillet était pour nous un jour remarquable dont nous ne démêlions pas bien le sens ; quelques personnes de notre parenté (deux sœurs de mon père étaient devenues Françaises par leur mariage) quittaient Paris dès la veille, comme si elles abandonnaient la ville à une réjouissance immodeste et indigne de leur estime. Par contre, plusieurs de nos amis, nous le savions, se levaient de fort bonne heure et se dirigeaient vers les plaines de Longchamp avec une éclatante et sensible satisfaction. Le personnel de notre maison lâchait soudain tous les ustensiles du ménage et se précipitait aux fenêtres quand résonnait, dans le lointain, La Marseillaise, alors que les troupes, après la revue militaire passée à Longchamp, regagnaient les casernes de la capitale. La Marseillaise m’enivra la première fois que je l’entendis, et pour toujours. Ce que ce chant du courage contient d’appels vers le plus loin et le plus haut que soi, l’arrachement qu’il opère sur la paresse et la prudence, ces cris d’amour, de révolte, de délivrance que les nations lui empruntent pour affirmer leur indépendance, La Marseillaise, enfin, se dresse dans ma pensée telle qu’on la voit, taillée dans la pierre, par Rude, sur l’Arc de Triomphe, entraînant