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LE LIVRE DE MA VIE

théâtre, de ne pas veiller sa petite fille. À partir de ce jour-là, j’ai porté tout mon amour, toute ma pitié sur les malades eux-mêmes et non sur la famille des malades, à qui s’adressent généralement la sympathie, la compassion et les condoléances.

J’ai raconté ce petit incident d’une nuit d’angine pour établir la distance qui existait alors entre les enfants et les parents les meilleurs. Nous n’interrogions pas les nôtres ; aussi, n’est-ce pas par eux que j’avais établi ma certitude de notre nationalité. Il y avait, dès le portail de l’avenue Hoche franchi, une vaste pièce transparente qu’occupaient deux personnages importants, M. et Mme Philibert, les concierges. M. Philibert était un vieil homme tout en relief, et sa femme présentait, sous des bandeaux de cheveux gris, un charmant visage aplani de vieille mousmé normande. M. et Mme Philibert, installés et comme plantés à l’entrée même de l’hôtel, bénéficiaient justement d’une réputation sans égale. Leur honnêteté, leur bonhomie, la rudesse pittoresque du mâle, son franc-parler respectueux, l’obligeance et l’empressement soumis de la femme, plus courtoise et qui gourmandait son mari pour la familière verdeur de ses propos, dictaient une loi à notre maison.

Que mes parents, que mon frère, que ma sœur et moi puissions être d’une autre nation que M. et Mme Philibert, ne pas fêter comme ils le faisaient le 14 Juillet, ne pas arborer, ce jour-là, le dra-