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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/36

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LE LIVRE DE MA VIE

cueilli par la raison des meilleurs, ordonné par les précautions d’un génie collectif, est future vérité.

Le lac de Genève rapprochait et favorisait toutes les convictions ; il semble que l’Histoire se soit reposée, comme le voyageur aux cheveux épars, au col de chemise entr’ouvert des gravures romantiques, sur ces coteaux vallonnés, traversés de sources chantantes, à l’ombre des châtaigniers dont les branches robustes, penchées sur l’espace, paraissent soulever et retenir parmi leurs feuillages des portions d’onde azurée.

« Nous allons à Prangins, chez le prince Napoléon », dit un jour mon père, en donnant des ordres pour que nous fussions vêtues élégamment, pour que nos costumes marins et le béret dont je tirai un parti favorable à la coquetterie, grâce à une chevelure volante bien disposée sur les épaules, fussent ceux du dimanche. Nous allions donc voir le prince Jérôme Napoléon, Napoléon tout court, devrais-je dire, car c’est le prénom aux échos sublimes, c’est cette apothéose colorant l’étendue, ce fracas de gloire qui changea les lois, les contrées, le cœur des hommes, bossela l’univers et vint se heurter aux parois de l’espace, qui me faisait chanceler de plaisir, et de plaisir effrayé, à la pensée du voyage de Prangins.