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LE LIVRE DE MA VIE

repos dans les jardins de l’Île-de-France, tout en conservant leur faste autoritaire, répondait avec reproche : « Moi seul d’entre nous tous je peux vivre dans la simplicité familiale ; j’aime à causer avec ma femme ; je sais parler aux enfants ; j’interroge les savants ; je fais volontiers la lecture, le soir, à mon entourage… »

Certes, la tragique défaite de sang et de neige en Russie — comme auparavant les combats désordonnés et confus d’Espagne — reste une des plaies obsédantes de l’Histoire ; mais, dès que l’homme responsable lui-même s’explique, quelle persuasive et raisonnable beauté ! « La paix dans Moscou, disait-il à Sainte-Hélène, accomplissait et terminait mes expéditions de guerre ; c’était la fin des hasards et le commencement de la sécurité. La cause du siècle était gagnée ; la révolution accomplie, il ne s’agissait plus que de la raccommoder avec ce qu’elle n’avait pas détruit ; cet ouvrage m’appartenait, je l’eusse fait triompher aux dépens de ma popularité même. Ma gloire eût été dans mon équité. »

Paroles où apparaît, chez ce pétrisseur du globe, l’inclination qu’il eut toujours pour la pureté, la conciliation, la magnanimité. Jamais on ne put l’obliger à la rancune, lasser sa volontaire indulgence, son plaisir du pardon. La vue du sang, ce sang qui avait déjà tant coulé pendant la Révolution et dont souffrirent aussi Danton et Robes-