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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/53

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LE LIVRE DE MA VIE

plus aucun vivant ; l’inégalité sensée et généreuse vénère en ces morts augustes la somme du mérite physique et spirituel par quoi un seul homme vaut un millier d’hommes. Qu’importe, — et il le savait, — que Napoléon lui-même ait dit : « Le sentiment de l’égalité est naturel dans l’individu, il en ressent la justesse, il s’y complaît, il lui est plus nécessaire que celui de la liberté. Où voit-on que la nature ait fait naître des créatures marquées les unes d’un bât et les autres chaussées de bottes ? » Raison, sagesse, magnanimité des chefs tristes du monde qui se débarrassent de la flatterie par un haussement d’épaules !

Un jour d’été de l’année 1930, j’ai visité une fois de plus le domaine de la Malmaison. J’errais dans cette demeure que l’absence d’un homme vidait de toute atmosphère, de toute vie. Il faut être moins démesuré, moins exorbitant, moins certain et défini, moins imaginaire, improbable et présent dans tout l’univers que Napoléon, pour que le jardin, l’escalier, les chambres qu’un être vivant parcourait familièrement aient le pouvoir d’enchaîner son fantôme. Le cœur oppressé par ce sentiment tout neuf (car on retrouve César parmi les coquelicots et les roses blanches du Forum, Dante dans le palais purpurin de Vérone