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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/62

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LE LIVRE DE MA VIE

a l’arôme de l’herbage, du candide bétail, du logis savoisien, du naissant désir.

« Aujourd’hui, jour de Pâques fleuries… », écrit Jean-Jacques en retraçant le pèlerinage qu’il fit, vieux et courbé, sur la route où, adolescent, il se dirigeait, les oreilles bourdonnantes des palpitations de son cœur, vers Mme de Warens.

Neuvième promenade du recueil, Pastorale amoureuse et reconnaissante, brève sonate du verbe dédiée à la maternelle amante qui, parmi les ruses, les soins, les complaisances bien ordonnées, satisfit l’âme fiévreuse du poète, que plus rien ensuite ne contenta. Je revois la chambre au rugueux papier chinois, la vaisselle en étain du XVIIIe siècle, le vert cartel posé sur le clavecin modeste, l’étroite chapelle, l’horizon divisé d’azur et de plantes potagères : décor où Rousseau posséda sa placide maîtresse, bienveillante aussi envers les exigences du perruquier d’Annecy, comme elle l’avait été jadis à l’égard du docte jardinier.

La gratitude du jeune homme, dupé, comblé, éclate généreusement dans cette phrase qu’il faut considérer comme l’andante de ces pages passionnées : « Je puis dire à peu près comme ce préfet du prétoire, qui, disgracié sous Vespasien, s’en alla finir paisiblement ses jours à la campagne : « J’ai passé soixante-dix ans sur la terre et j’en ai vécu sept. » Sans ce court, mais précieux espace, je serais peut-être resté incertain sur moi. Aimé