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LE LIVRE DE MA VIE

d’une femme pleine de douceur, je sus donner à mon âme, encore simple et neuve, la forme qui lui convenait davantage et qu’elle a gardée toujours… »


Quelques années passèrent. Puis vint l’heure fortunée où je visitai les Charmettes en compagnie d’un cœur que Rousseau avait hanté. Maurice Barrès, Mme Barrès, le petit Philippe, leur enfant, nous ayant rejoints à Annecy, firent route avec nous. Déjà, Maurice Barrès et moi, un matin d’été, dans les proches environs d’Annecy, nous avions recherché (lui plus que moi, l’azur absorbant toutes mes facultés) le site vénéré où Lamartine avait soutenu entre ses bras, dans le vent des tempêtes d’un petit lac coléreux, sa pâle compagne, mourante, ardente, Julie, Elvire, — en deux mots : Mme Charles.

Nous avions ri de voir, dans le désordre d’une prairie touffue de sainfoin rose et de trèfles incarnats, un poteau indicateur planté tout de travers, qui portait ces mots lyriques et rapides : Lieu de l’inspiration, 300 mètres.

Mais, bien que Barrès eût pour Lamartine une dévotion qu’il essayait de faire prévaloir sur l’admiration effrayée que lui inspirait Hugo, les Charmettes de Mme de Warens et de Rousseau l’attiraient davantage. Au crépuscule, nous parvînmes, entassés tous familialement dans un automobile, à la demeure des Charmettes. Route parfumée du