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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/64

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LE LIVRE DE MA VIE

soir, regard sur le paysage illustre, entrée difficile dans la maison silencieuse qu’un gardien défiant habitait avec indifférence ! Il nous témoigna, par une mine taciturne, le déplaisir que lui causaient ces touristes émus et graves. Nous visitâmes scrupuleusement la maison des amours nombreuses et partagées, dont souffrit le héros novice des Confessions. Je restai longtemps, seule, dans la chambre de Jean-Jacques, près du lit ou ce corps délicat, en proie aux malaises du génie et des nerfs, faisait alterner la demi-mort avec la vie tumultueuse de l’âme. Le verger d’automne, étincelant de lourds dahlias, encombre de groseilliers et de framboisiers diminués de leurs fruits, que les lèvres même de l’été semblaient avoir absorbé, était tapissé de vertes plantes aplaties sur le sol, dont les racines profondes exhalaient un humide soupir. La fraîche saison ne nous livrait aucune pervenche. Je le regrettai. N’importe ! nous évoquâmes la fleur privilégiée et, sans qu’on pût s’en douter, je composai un poème sur Rousseau, tout en causant et en parcourant d’un pas alerte le jardin où je croyais rencontrer l’ombre de Claude Anet, favori, dans les heures nocturnes, de l’hôtesse aux épaules de colombe. En mon esprit se formaient rapidement les images de ces stances que Maurice Barrès s’efforçait, avec une tendre bienveillance, de déchiffrer dans mon regard. Je dédiai ces strophes aux Charmettes ; je les retrace ici :