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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/7

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INTRODUCTION

tion qui, tout d’abord, séduit, — car l’être actif se sent le serviteur malaisé de sa vigueur spirituelle, — n’est plus exacte dès qu’on la médite. La passion, l’instinct, le subconscient impérieux et secourable transportent les esprits doués de toutes les amours au-dessus de leur raison même. Par une aptitude que j’ai été obligée de constater dès mon enfance, j’ai égalé, j’ai dépassé mes pensées, j’ai volé au-dessus d’elles. Si attachée que je fusse à l’intelligence, et jusqu’à me sentir comme en prison, et volontairement, entre les chaînes mobiles, mais inexorables de la logique, j’ai connu un au-delà du possible. Une sorte d’ivresse plénière m’installait souvent avec aisance dans un domaine que le cœur déborde, où la créature, n’ayant plus aucune sensation d’entrave, dispose d’un univers sans lois et, pareille aux dieux, exerce toutes les vertus prodigues.

Je ne songeais pas à combattre la témérité qui naissait de moi-même, de l’ardente liqueur incluse dans mes veines. La plus énergique sécurité me prêtait un appui total. Du haut d’une zone sans voussure, je descendais vers les choses, je fraternisais avec les éléments. Que j’eusse tous les pouvoirs, l’excès de mon désir, l’absence de contradiction intérieure me l’affirmaient. J’avais la certitude d’être capable de marcher sur les flots. Parfois, au bord du lac Léman, quand la nappe tiède d’une eau bleue bordée d’écume m’invitait