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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/75

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LE LIVRE DE MA VIE

de géant, l’univers parcouru au moyen de la poésie, la puissance aisée du métier, les milliers de vers, chacun aussi vivant dans l’isolement que dans le bloc de marbre qui les retient groupés, m’inspirèrent une dévotion que le temps n’a pas modifiée. Chez Hugo l’honneur est inclus dans la sonorité même des syllabes ; il hausse la vie et le courage de qui le lit ; il ne prophétise que le plausible et le véritable : ce que Voltaire savait, Hugo l’a magnifié. Par l’agilité et le nombre étourdissant du verbe, cet homme oiseau bondit du sous-humain au céleste, s’élance du volcan jusque dans les astres. Si, chez la créature, tout sentiment était porté sur un vers de Victor Hugo, la noblesse de l’âme en serait élevée. Habitant des sommets, son génie s’abaisse aussi vers la grâce, comme on voit, sur une miniature persane, le col de l’antilope s’enfoncer dans une touffe de digitales. Certains de ses vers ont un prolongement infini d’évocation ; d’autres suffisent, tant leur début est direct et plaisant, à réveiller une époque, une cité, un homme engloutis dans les ténèbres du temps :

Autrefois, j’ai connu Ferdousi dans Mysore…

Cette facilité sereine du premier vers, ce placement parfait, comme le doit être la pose d’une pierre robuste dans la profondeur des fondations, je l’ai souvent rapprochée de la construction poé-