Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/74

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saurait revêtir, et je me souviens d’un « que vous expliquassiez », situé à la rime, qui suscitait la jalousie et la critique des amoureux de Racine. Il est vrai que plus tard, et dans ces moments où la gaieté ne craint pas de s’attaquer au sublime, je m’étonnai des complets carnages familiaux fréquents dans les drames cornéliens où jamais ne frémit le chant doré des harpes de Racine : Reste-t-il un seul vivant au dernier acte d’Horace ? Vu du palier de nos appartements modernes, que de fureur, de sang, de tumulte, d’anéantissements ! « Je préfère Racine à Corneille », ai-je dit un jour, à quinze ans, enivrée par les délicates plaintes de Bérénice, à mon institutrice extravagante, et je fus offensée, en mon courage comme en mes sentiments de décence, par cette prodigieuse réponse, proférée avec hostilité et d’un ton de chaste mépris et de dignité militaire : « Cela ne m’étonne pas de vous ! »

Les nations ne sont pas constituées uniquement par leur territoire ; le génie de Corneille vaut des provinces. Je crois n’avoir pas menti dans le moment où j’ai pu murmurer tristement à un ami, chez qui parfois les résolutions étaient plus hésitantes et plus faibles que les miennes : « Vous vantez sans cesse Corneille ; moi, je vis selon lui. » Peu de temps après mon initiation cornélienne, Victor Hugo surmonta, en mon esprit d’enfant, l’amour que je portais à tous les poètes. Son souffle