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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/78

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LE LIVRE DE MA VIE

et qu’entouraient de jeunes filles au maintien charmant, tous hôtes érudits et pleins de grâce, autorisaient une visite au cœur même de Mme de Staël. J’étais une enfant qu’on emmenait fréquemment, qui, timide, se taisait, mais en qui tout s’installait avec une exceptionnelle précision. Les yeux baissés, semblait-il, et pourtant grands ouverts, je regardais, je contemplais, j’inspectais. De toutes parts surgissaient les portraits, les bustes et les miniatures de Mme de Staël.

Je l’avoue, elle me désolait ; que dis-je ! elle m’épouvantait. Les enfants, avides de beauté, demeurent consternés devant ce qui domine sans séduire. En ses nombreuses effigies, Mme de Staël, coiffée d’un épais turban musulman surmontant un mâle visage, produisait au-dessus d’un corsage de lin une gorge haute et forte qu’élargissaient des épaules vigoureuses, d’où descendaient des bras charnus et bistrés. Mais les enfants espèrent toujours. Un après-midi, à Coppet, j’eus le bonheur d’entendre dire, devant ces images qui me décevaient, que Mme de Staël possédait des yeux magnifiques ainsi qu’une éloquence sans égale, que Benjamin Constant l’avait aimée, que sa harpe vermeille avait laissé s’envoler sous ses doigts des arpèges célestes, que son amour pour ses parents fut exemplaire, que son œuvre était immortelle. Je me sentis rassurée, consolée, heureuse. Je regardais avec béatitude le buste en marbre de sa fille