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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/80

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LE LIVRE DE MA VIE

ou du parc se perpétrait indéfiniment cette funèbre union.

À chacune de nos visites, les hôtes parfaits de Coppet et leurs convives se plaisaient à admirer et à commenter de nouveau la chambre de Mme Récamier : lit enveloppé d’organdi blanc, tenture peinte de bambous et de lotus roses, — chinoiserie à la française accédant au salon où Chateaubriand rencontra, pour la première fois, cette provocante Juliette, sans être fasciné par elle, sans prévoir leur futur et immortel attachement.

Mais ces visions de grâce, de triomphe et d’amour étaient assombries pour moi par la crainte où j’étais que tant d’aimable curiosité historique n’aboutit au formidable récipient de cristal dans lequel baignaient, saturés d’alcool, deux époux à jamais insensibles et livides.

Mme de Staël est installée dans mon esprit auprès de George Sand, dans une gloire qui leur est commune. Toujours juste pour ces deux héroïnes, je m’insurge dès qu’on les attaque ou les veut diminuer ; je reste silencieuse lorsqu’on les vénère avec excès, car je ne parviens pas à me les représenter dans leur naturel ni à comprendre leur cœur. Si je ne connaissais pas le charmant dessin que Musset fit de George Sand, qui incline avec langueur un délicat profil de poisson japonais, ou bien ce bref portrait de Delacroix où nous la voyons coiffée