modeste feuillet où ces quelques mots avaient un pouvoir total : « Au nom du peuple français… »
Cette formule simple et digne vint rejoindre en mon esprit l’espèce de solennel respect que m’inspiraient, dès mon enfance, les mots : Liberté, Égalité, Fraternité, largement incisés sur les murs de pierre du lycée Condorcet, que je côtoyais, à l’âge de cinq ans, pour me rendre au cours de solfège, situé près du passage du Havre. J’eus beaucoup à souffrir pour ces vocables infinis, que les passants ne constataient même plus.
Présente à tous les repas chez mes parents, prenant part silencieusement à toutes les conversations, je prêtais une grande attention aux propos d’un vieil homme très instruit, très aimé de nous, du nom de M. Dessus. Cet ami quotidien, — dont l’aspect était si éloigné de ce que notre époque compose qu’on pourrait penser que la physionomie obéit à une mode passagère, que la nature cesse ou s’interrompt de créer M. Thiers ou Émile Ollivier pour ne s’attacher avec constance qu’à la figuration des amiraux, — était un musicien angélique en même temps qu’un politicien de mauvaise foi et un croyant irrité. Aux côtés de ma mère, lorsqu’il jouait du violon, — de l’alto, précisait-il, — son étrange visage sans ciselure, comme découpé ingénument par un enfant dans du carton solide, reflétait la buée d’or des sons et