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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/85

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LE LIVRE DE MA VIE

paraissait inondé du bleu, soudain charmant, de son œil, non plus aigre et pointu, mais couleur de l’aile de la mésange. Homme singulier, loyal et sans probité du cœur ! Nulle âme plus que la sienne n’avait bondi d’une conviction à une autre. C’est lui qui, révolutionnaire et antireligieux violent, écarta du lit de Lamennais mourant et jeta dans l’escalier le prêtre venu au chevet du moribond. Du moins, il l’affirmait, et il narrait cet incident avec un repentir bien en vue, que surmontait la vanité inhérente aux caractères emportés, secrètement satisfaits de tous les actes où leur personnalité a dominé sur autrui.

Ce robuste et sensuel vieillard converti signait du pseudonyme transparent de « Super » des articles d’une piété naïve et cruelle, d’un antisémitisme barbare, dans de petits journaux appelés « conservateurs ». Sa personne, en changeant de passion, était demeurée la même. Je l’entendais s’irriter à tout propos contre la Révolution, sans pour cela qu’il apportât la moindre atténuation au mécontentement que lui inspirait l’Histoire entière, dont il s’était fait le juge. Sa critique s’attaquait à chaque époque ; ainsi, plus tard m’apparut Taine, dans son manque d’amour méthodique et prolongé, qui me précipita sur le cœur de Michelet. M. Dessus, dont les griefs m’attristaient sans me convaincre, reprochait à François Ier sa galanterie, son alacrité, son brillant mais léger courage ;