Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/181

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car la vieillesse de Boudroubougoul sembloit défier les années. Plus l’âge s’appesantissoit sur elle, plus elle devenoit acariâtre et violente, plus elle redoutoit, dans son implacable jalousie, que je n’échappasse au funeste amour que j’avois eu l’affreux malheur de lui inspirer. La précaution même avec laquelle elle avoit éloigné toutes les femmes ne la rassuroit qu’à demi. Elle descendoit impitoyablement jusque dans les mystères de mon cœur, pour y surprendre une pensée qui n’auroit pas été pour elle, et la moindre découverte de ce genre m’exposoit aux traitements les plus odieux. Je vous laisse à penser si l’occasion s’en présentoit souvent ; et que seroit-ce, grand Dieu ! si vous aviez vu Boudroubougoul !

J’avois toutefois conservé précieusement mon amulette. Je touchois tout au plus à ma cinquantième année, et si ce n’est plus l’âge de plaire, c’est celui du moins où les gens sensés ont acquis toute la maturité nécessaire pour tirer un parti raisonnable de l’amour. Je vivois encore, triste mais résigné, par cette espérance présomptueuse de l’arrière-saison, quand je m’aperçus un matin que le talisman du génie m’avoit été dérobé pendant mon sommeil. Boudroubougoul, qui partageoit toutes les nuits la couche de malédiction sur laquelle le ciel avoit amassé pour moi tant d’opprobres et de douleurs, pouvoit seule s’en être emparée, dans la fausse et ridicule idée que ce joyau étoit le gage de quelque sentiment de jeunesse dont mon âme conservoit tendrement le souvenir. Je m’élançai brusquement de mon lit, je courus à la chambre de ma femme, et je vis l’abominable vieille occupée à exciter, de la pointe d’une longue broche de fer, l’ardent brasier qui achevoit de dévorer l’amulette. Elle n’existoit déjà plus qu’en cendres impalpables qui noircissoient à la surface des charbons brûlants, mais qui trahissoient encore l’apparence de sa forme. À cet aspect, un cri lamentable s’échappa de mon