Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/182

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cœur déchiré, mes yeux se voilèrent, et je sentis mes jambes défaillir sous moi.

— Perfide ! s’écria Boudroubougoul en se retournant de mon côté, c’est donc ainsi que vous trahissez les devoirs d’un lien si bien assorti, et qui a fait si longtemps votre félicité ? Pour cette fois, misérable, ma vengeance est sans pitié, et je ne me laisserai attendrir ni par vos larmes ni par vos serments.

Elle se levoit, en effet, pour me frapper, selon sa constante habitude, quand une impression toute nouvelle, dont elle ne fut pas maîtresse, la contraignit de changer de langage.

— Oh ! oh ! reprit-elle en faisant deux pas en arrière, par quel mystère ce manant a-t-il pu s’introduire dans ces murs impénétrables ? Qui es-tu, insolent étranger, pour oser te présenter sans être annoncé dans l’appartement des femmes ?

— Hélas ! répondis-je les yeux baissés, ne reconnoissez-vous pas en moi votre malheureux époux, Mahoud, le beau prince de Fardan ?

— Seroit-il vrai ! dit Boudroubougoul après m’avoir longtemps considéré avec un mélange d’étonnement et d’effroi. Il seroit vrai ! répéta-t-elle du ton d’une conviction amère. C’est donc à toi, ignoble et difforme créature, c’est à toi, magicien maudit, que la vive et gracieuse Boudroubougoul a prodigué, pendant trente ans d’illusions, les trésors de sa jeunesse et de sa beauté ! C’est à toi que j’ai sacrifié la fleur de ses charmes innocents qui faisoient l’enchantement des yeux et les délices du monde !… Retire-toi, continua-t-elle dans un accès de colère impossible à exprimer, et en me poursuivant outrageusement de la broche de fer que sa main n’avoit pas laissée échapper. Disparois à jamais de ma présence, et va chercher des conquêtes nouvelles chez les monstres qui te ressemblent.

Boudroubougoul me conduisit ainsi jusqu’aux rem-