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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/19

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pratiquoient à peu près les mêmes études que moi, mais qui m’ont laissé fort en arrière. Ils sont vivants tous deux, et je les nommerois sans craindre d’en être désavoué, si leurs noms, que décore une juste illustration, pouvoient être hasardés sans inconvenance dans un récit duquel on n’exige sans doute que la vraisemblance requise aux contes bleus, et qu’en dernière analyse je ne donne pas moi-même pour autre chose.

En arrivant à un certain carrefour où nous nous séparions pour prendre des directions différentes, nous fûmes frappés à la fois de l’attitude contemplative de Jean-François les Bas-Bleus, qui étoit arrêté comme un terme au plus juste milieu de cette place, immobile, les bras croisés, l’air tristement pensif, et les yeux imperturbablement fixés sur un point élevé de l’horizon occidental. Quelques passants s’étoient peu à peu groupés autour de lui, et cherchoient vainement l’objet extraordinaire qui sembloit absorber son attention.

— Que regarde-t-il donc là-haut ? se demandoient-ils entre eux. Le passage d’une volée d’oiseaux rares, ou l’ascension d’un ballon ?

— Je vais vous le dire, répondis-je pendant que je me faisois un chemin dans la foule, en l’écartant du coude à droite et à gauche. — Apprends-nous cela, Jean-François, continuai-je ; qu’as-tu remarqué de nouveau ce matin dans la matière subtile de l’espace où se meuvent tous les mondes ?…

— Ne le sais-tu pas comme moi ? répondit-il en déployant le bras, et en décrivant du bout du doigt une longue section de cercle depuis l’horizon jusqu’au zénith. Suis des yeux ces traces de sang, et tu verras Marie-Antoinette, reine de France, qui va au ciel.

Alors les curieux se dissipèrent en haussant les épaules, parce qu’ils avoient conclu de sa réponse qu’il étoit fou, et je m’éloignai de mon côté, en m’étonnant seulement que Jean-François les Bas-Bleus fût tombé si