Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/246

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commerce paternel. Paul s’étoit par conséquent trouvé trop heureux d’entrer au service de M. de Louvois, et cela se conçoit à merveille quand on connoît son maître.

La voiture suivoit depuis quelque temps cette route inégale qui domine sur la route la riante vallée d’Argelez, et d’où l’œil s’égare à plaisir, en remontant le cours des eaux, à travers des massifs d’arbres touffus, parmi lesquels se dressent quelquefois les ruines d’une vieille tour féodale, aussi fameuse par ses traditions que pittoresque par son aspect. Au loin, quelques espaces d’un blanc lisse et resplendissant se détachent çà et là sur le fond obscur et mobile de la plus magnifique végétation ; une flèche pointue perce les cimes arrondies, et vous devinez un village presque entièrement voilé de la richesse de ses ombrages, comme d’un rideau de verdure. Ainsi s’acheminoit, sous le fouet retentissant du postillon, la calèche de M. le marquis de Louvois, quand elle dépassa pour la dernière fois un bon vieillard à cheval, qui sembloit s’efforcer de l’accompagner, et dont l’émulation hors de propos inquiétoit sans doute la sensibilité de notre noble voyageur. Enfin, c’en était fait : ni l’homme ni sa monture n’avoient reparu dès lors jusqu’au relai de Pierrefitte ; et M. de Louvois, délivré du souci de cette lutte inégale, s’empressa de demander des chevaux. Les chevaux manquent rarement au relais de Pierrefitte, mais la route y manque souvent, quand les eaux du gave de Cauterets, grossies par un violent orage, se débordent avec fureur dans la plaine ; et le 4 août 1834 était un de ces jours-là. Il falloit coucher à la poste de Pierrefitte, ce qui est une des extrémités les plus fâcheuses auxquelles puisse être réduit le touriste des Pyrénées, depuis les rives du Tet jusqu’à celles de la Nivette. M. de Louvois se résigna, et porta aussi loin que possible le courage de sa position. Malgré la mauvaise apparence des mets, il se résolut à souper.