Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/280

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revenoient de droit à sir Richard Heber. C’est la part du lion anglois, auquel nous cédons de bonne grâce le grec et le latin que nous ne savons plus. — Ces belles collections d’histoire naturelle, ces chefs-d’œuvre de méthode et d’iconographie sont au prince de…, dont les goûts studieux ennoblissent encore, par son emploi, une noble et immense fortune. — Ces mystères du moyen âge, ces moralités phénix dont le ménechme n’existe nulle part, ces curieux essais dramatiques de nos aïeux vont augmenter la bibliothèque-modèle de M. de Soleine. — Ces facéties anciennes, si sveltes, si élégantes, si mignonnes, si bien conservées, composent le lot de votre aimable et ingénieux ami, M. Aimé-Martin. — Je n’ai pas besoin de vous dire à qui appartiennent ces maroquins frais et brillants, à triples filets, à larges dentelles, à fastueux compartiments. C’est le Shakespeare de la petite propriété, le Corneille du mélodrame, l’interprète habile et souvent éloquent des passions et des vertus du peuple, qui, après les avoir un peu déprisés le matin, en a fait le soir emplette au poids de l’or, non sans gronder entre ses dents, comme un sanglier blessé à mort, et sans tourner sur ses compétiteurs son œil tragique ombragé de noirs sourcils.

Théodore avoit cessé d’écouter. Il venoit de mettre la main sur un volume d’assez bonne apparence, auquel il s’étoit empressé d’appliquer son elzéviriomètre, c’est-à-dire le demi-pied divisé presque à l’infini, sur lequel il régloit le prix, hélas ! et le mérite intrinsèque de ses livres. Il le rapprocha dix fois du livre maudit, vérifia dix fois l’accablant calcul, murmura quelques mots que je n’entendis pas, changea de couleur encore une fois, et défaillit dans mes bras. J’eus beaucoup de peine à le conduire au premier fiacre venu.

Mes instances pour lui arracher le secret de sa subite douleur furent longtemps inutiles. Il ne parloit pas. Mes