Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la piété, sous une escorte de sombres pédants. Quelques jours encore, et ce monde naissant, que la science du mal va saisir au berceau, connoîtra un ridicule alphabet et ne connoîtra plus Dieu ; quelques jours encore, et ce qui reste, hélas ! des enfants de la nature, seront aussi stupides et aussi méchants que leurs maîtres. Hâtons-nous d’écouter les délicieuses histoires du peuple, avant qu’il les ait oubliées, avant qu’il en ait rougi, et que sa chaste poésie, honteuse d’être nue, se soit couverte d’un voile comme Ève exilée du paradis.

J’ai juré, quant à moi, de n’en jamais écouter, de n’en jamais raconter d’autres. Celle que je vais vous dire est tirée d’un vieil hagiographe, nommé Bzovius, continuateur peu connu de Baronius, qui ne l’est guère davantage. Bzovius la regardoit comme parfaitement authentique, et je suis de son avis, car de pareilles choses ne s’inventent point. Aussi me serois-je bien gardé d’y changer la moindre chose dans le fond ; et quant aux différences qu’on pourra trouver dans la forme, il ne faut point les imputer à mon goût, mais à celui de la multitude, qui feroit peu de cas du tableau d’un maître naïf, s’il n’étoit relevé par la bordure et rafraîchi par le vernis. Après cette déclaration, les lecteurs dans lesquels l’amour du beau et du vrai n’est pas altéré par de mauvaises habitudes, sauront à quoi s’en tenir. Ils laisseront là mon pastiche, et liront, s’ils déterrent son bouquin dans les bibliothèques, le bonhomme Bzovius, qui raconte cent fois mieux que moi.

Non loin de la plus haute cime du Jura, mais en redescendant un peu sur son versant occidental, on remarquoit encore, il y a près d’un demi-siècle, un amas de ruines qui avoit appartenu à l’église et au monastère de Notre-Dame-des-Épines-Fleuries. C’est à l’extrémité d’une gorge étroite et profonde, mais beaucoup plus abritée du côté du nord, et qui produit tous les ans, grâce à la faveur de cette exposition, les fleurs