Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/85

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les plus rares de la contrée. À une demi-lieue de là, l’extrémité opposée laisse voir aussi les débris d’un antique manoir seigneurial, qui a disparu comme la maison de Dieu. On sait seulement qu’il étoit occupé par une famille très-renommée dans les armes, et que le dernier des nobles chevaliers dont il portoit le nom, mourut à la conquête du tombeau de Jésus-Christ, sans laisser d’héritier pour perpétuer sa race. La veuve inconsolable n’abandonna pas des lieux si propres à entretenir sa mélancolie ; mais le bruit de sa piété se répandit au loin avec ses bienfaits, et une tradition glorieuse consacre à jamais sa mémoire aux respects des générations chrétiennes. Le peuple, qui a oublié tous ses autres titres, l’appelle encore La Sainte.

Un de ces jours où l’hiver, près de finir, se relâche tout à coup de sa rigueur, sous les influences d’un ciel tempéré, La Sainte se promenoit, comme d’habitude, dans la longue avenue de son château, l’esprit occupé de pieuses méditations. Elle arriva ainsi jusqu’aux buissons d’épines qui la terminent encore, et elle ne fut pas peu surprise de voir qu’un de ces arbustes s’étoit chargé déjà de toute sa parure du printemps. Elle se hâta de s’en approcher pour s’assurer que cette apparence n’étoit pas produite par un reste de neige rebelle, et, ravie de le voir couronné en effet d’une multitude innombrable de belles petites étoiles blanches à rayons incarnats, elle en détacha soigneusement un rameau pour le suspendre, dans son oratoire, à une image de la sainte Vierge qu’elle avoit depuis son enfance en grande vénération, et s’en revint joyeuse de lui porter cette offrande innocente. Soit que ce foible tribut fût réellement agréable à la divine mère de Jésus, soit qu’un plaisir particulier qu’on ne sauroit définir soit réservé à la moindre effusion d’un cœur tendre vers l’objet qu’il aime, jamais l’âme de la châtelaine ne s’étoit ouverte à des émotions plus ineffables que dans cette douce soirée.