Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/86

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Aussi se promit-elle avec une joie ingénue de retourner tous les jours au buisson fleuri, et d’en rapporter tous les jours une guirlande nouvelle. On peut croire qu’elle fut fidèle à cet engagement.

Un jour, cependant, que le soin des pauvres et des malades l’avoit retenue plus longtemps que d’ordinaire, elle eut beau se presser de gagner son parterre sauvage ; la nuit y arriva avant elle, et on dit qu’elle commençoit à regretter de s’être engagée si avant dans ces solitudes, quand une clarté calme et pure, comme celle qui descend du jour naissant, lui montra soudainement toutes ses épines en fleur. Elle suspendit un instant ses pas, à la pensée que cette lumière pouvoit provenir d’une halte de brigands, car il étoit impossible d’imaginer qu’elle fût produite par des myriades de vers luisants, éclos avant leur saison. L’année étoit encore trop éloignée alors des nuits tièdes et pacifiques de l’été. Toutefois, l’obligation qu’elle s’étoit imposée venant se présenter à son esprit et ranimer un peu son courage, elle marcha légèrement, en retenant son haleine, vers le buisson aux blanches fleurs, saisit d’une main tremblante une branche, qui sembla tomber d’elle-même entre ses doigts, tant elle fit peu de résistance, et reprit le chemin du manoir, sans oser regarder derrière elle.

Durant toute la nuit suivante, la sainte dame réfléchit à ce phénomène, sans pouvoir l’expliquer ; et, comme elle avoit à cœur d’en pénétrer le mystère, dès le lendemain, à la même heure du soir, elle se rendit aux buissons, en compagnie d’un serviteur fidèle et de son vieux chapelain. La douce lumière y régnoit ainsi que la veille, et sembloit devenir, à mesure qu’ils approchoient, plus vive et plus rayonnante. Ils s’arrêtèrent alors, et se mirent à genoux, parce qu’il leur sembla que cette lumière venoit du ciel ; après quoi le bon prêtre se leva seul, fit quelques pas respectueux vers les épines fleuries, en chantant une hymne de l’église, et les