Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/95

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fois, et jusqu’au sentiment de la conscience qui dédommage de toutes les autres pertes ! Les bijoux qui l’avoient autrefois parée, tributs impies que la débauche paye au crime, lui fournirent quelque temps une ressource trop prompte à s’épuiser. Elle demeura seule, délaissée, objet de mépris pour les autres comme pour elle-même, livrée aux dédains insolents du vice, et odieuse à la vertu, exemple rebutant de honte et de misère que les mères montroient à leurs enfants pour les détourner du péché ! Elle se lassa d’être à charge à la pitié, de ne recevoir que des aumônes qu’une pieuse répugnance clouoit souvent aux mains de la charité, de n’être secourue à l’écart que par des gens qui avoient la rougeur sur le front, en lui accordant un peu de pain. Un jour, elle s’enveloppa de ses haillons, qui avoient été dans leur fraîcheur une riche toilette ; elle résolut d’aller demander les aliments de la journée ou l’asile de la nuit à ceux qui ne l’avoient pas connue ! Elle se flatta de cacher son infamie dans son malheur ; elle partit, la pauvre mendiante, sans autre bien que les fleurs qu’elle avoit autrefois ravies au bouquet de la Vierge, et qui tomboient, une à une, en poussière, sous ses lèvres desséchées !

Béatrix étoit jeune encore, mais la honte et la faim avoient imprimé sur son front ces traces hideuses qui révèlent une vieillesse hâtive. Quand sa figure pâle et muette imploroit timidement les secours des passants, quand sa main blanche et délicate s’ouvroit en frémissant à leurs dons, il n’étoit personne qui ne sentit qu’elle avoit dû avoir d’autres destinées sur la terre. Les plus indifférents s’arrêtoient devant elle avec un regard amer qui sembloit dire : Ô ma fille ! comment êtes-vous tombée ?…

— Et son regard, à elle, ne répondoit plus ; car il y avoit longtemps qu’elle ne pouvoit plus pleurer. Elle marcha longtemps, longtemps : son voyage sembloit ne devoir aboutir qu’à la mort. Un jour surtout, elle