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FIN DE SIÈCLE

l’exemple de Balzac, ou dans le manteau rouge d’un chef de brigands d’opérette, à l’imitation de M. Jean Richepin, il exprime simplement l’aveu que sur ces tréteaux doit logiquement apparaître un polichinelle. Tout est réuni au hasard, d’une façon hétérogène, sans viser une unité quelconque ; un style historique bien déterminé passe pour suranné, lourdement provincial ; et quant à un style propre, l’époque ne l’a pas encore produit. L’unique tentative d’acheminement vers ce but se rencontre peut-être dans les meubles de M. Carabin exposés au Salon du Champ-de-Mars de Paris. Mais ces rampes d’escaliers sur lesquelles dégringolent tumultueusement des furies nues et des possédées, ces bibliothèques dont des têtes d’assassins coupées forment le socle et un pilastre, même cette table offrant l’aspect d’un livre gigantesque ouvert et porté par des gnomes, constituent un style pour des fébricitants ou des damnés. Si le directeur général de l’enfer de Dante a un salon de réception, il doit être garni de meubles semblables. Les créations de M. Carabin ne sont pas un ameublement, mais un cauchemar.

Nous avons vu comment la bonne société s’habille et s’installe. Examinons maintenant comment elle s’amuse, où elle cherche ses excitations et ses distractions. Au Salon, elle se presse avec de légers cris d’admiration, pas plus hauts qu’il ne sied, autour des femmes de M. Besnard, qui ont des cheveux vert d’herbe, des visages jaune-soufre ou rouge-flamme, des bras tachetés de violet et de rose, et qui sont vêtues d’un phosphorescent nuage bleu en forme tout justement reconnaissable de robe de chambre. Elle aime donc la débauche de couleurs hardiment