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SYMPTÔMES

révolutionnaire ? Oui : mais pas exclusivement. Car, après Besnard, elle accomplit avec une extase aussi forte ou plus forte encore ses dévotions devant le Puvis de Chavannes aux couleurs pâlies et éteintes comme à l’aide d’un lait de chaux à demi transparent ; devant le Carrière envahi par une vapeur énigmatique, pénétré comme d’un nuage d’encens ; devant le Roll vibrant dans une douce lueur argentée. Le violet des élèves de Manet plongeant uniformément toute la création visible dans une lumière de conte de fées ; les archaïstes avec leurs demi-couleurs ou plutôt les spectres de couleurs oubliées, éventées, comme ressuscitées d’un antique tombeau ; cette palette « feuille d’automne », « vieil ivoire », jaune évaporé, pourpre étouffé, attirent en somme plus de regards enthousiastes que l’opulente orchestration du groupe Besnard. Ce que le tableau représente a l’air de laisser indifférents les visiteurs d’élite ; seuls les gens de la campagne et les couturières, public reconnaissant des chromos, s’intéressent à « l’anecdote ». Et pourtant les visiteurs d’élite s’arrêtent avec prédilection, dans leurs promenades artistiques, devant Chacun sa chimère de M. Henri Martin, où des formes humaines brouillées qui s’écoulent en un bouillon jaune font toutes sortes de choses incompréhensibles, qu’une explication pleine de profondeur doit d’abord aider à saisir ; devant Le Christ et la Femme adultère de M. Jean Béraud, où, dans une salle à manger parisienne, au milieu d’une société en habit noir, devant une dame en robe de bal, un Christ authentique, vêtu à l’orientale et auréolé de façon orthodoxe, mime une scène de l’Évangile ; ou devant les ivrognes et coupeurs de gorge