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DIAGNOSTIC

siècle », dans les tendances de la poésie et de l’art contemporains, dans la manière d’être des créateurs d’œuvres mystiques, symboliques, « décadentes », et l’attitude de leurs admirateurs, dans les penchants et instincts esthétiques du public à la mode, le syndrome de deux états pathologiques bien définis, qu’il connaît parfaitement : la dégénérescence et l’hystérie, dont les degrés inférieurs portent le nom de neurasthénie. Ces deux conditions de l’organisme diffèrent en elles-mêmes, mais ont certains traits communs ; elles se présentent fréquemment aussi l’une à côté de l’autre, de telle sorte qu’il est plus facile de les observer dans leurs formes mixtes que chacune isolément. La notion de la dégénérescence, qui domine aujourd’hui toute la science psychiatrique, a été pour la première fois nettement conçue et définie par Morel. Dans son œuvre capitale fréquemment citée, mais malheureusement trop peu lue [1], cet excellent aliéniste, célèbre un moment en Allemagne môme en dehors de sa profession[2] donne de ce qu’il entend par « dégénérescence » l’explication suivante :

  1. Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l’espèce humaine et des causes qui produisent ces variétés maladives, par le Dr B.-A. Morel. Paris, 1857, p. 5.
  2. Le comte Chorinsky avait, à l’instigation de sa maîtresse Ebergenyi, empoisonné sa femme, une ancienne comédienne. Le meurtrier était un épileptique et un « dégénéré » au sens de Morel. Sa famille appela celui-ci de Normandie à Munich, afin qu’il déclarât aux jurés chargés de le juger que l’accusé était irresponsable. Cela irrita d’une façon significative Chorinsky, et le ministère public, de son côté, contredit résolument les assertions de l’aliéniste français, en s’appuyant sur les avis des plus éminents psychiatres munichois. Chorinsky fut déclaré coupable, mais peu après sa condamnation la folie éclata chez lui, et il mourut quelques mois plus tard dans la démence la plus profonde, justifiant tous les pronostics de l’aliéniste français, qui avait démontré en allemand, devant des jurés allemands, l’insuffisance du savoir de ses confrères munichois.