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FIN DE SIÈCLE

permet à l'homme compétent de distinguer, au premier coup d’œil, le génie sain du dégénéré hautement ou même très hautement doué. Que l'on enlève à celui-là la faculté particulière par laquelle il est un génie, et il restera toujours encore un homme capable, souvent d’une intelligence et d’une habileté supérieures, moral, apte à discerner, qui saura partout tenir sa place dans notre engrenage social. Que l'on tente la même épreuve avec le dégénéré, et l’on n’a qu’un criminel ou un fou que l'humanité saine ne peut employer à rien. Si Gœthe n’avait jamais écrit un seul vers, il n’en aurait pas moins été un homme d’excellente compagnie, de bons principes, un fin connaisseur d’art, un collectionneur plein de goût, un observateur pénétrant de la nature. Que l’on se représente, au contraire, un Schopenhauer qui n’aurait pas été l’auteur de livres étonnants, et l’on n’aurait devant soi qu’un original repoussant que ses mœurs devaient exclure de toute société honnête et que son délire de la persécution désignait pour l’asile d’aliénés. Le manque d’accord, le défaut d’équilibre, le côté singulièrement inutile et non satisfaisant même de la faculté à reconnaître chez le dégénéré de génie, frappent les yeux de tout observateur sain qui ne se laisse pas influencer par l’admiration bruyante de critiques eux-mêmes dégénérés, et lui permettront toujours de ne


    enfance, ils ont ordinairement des facultés intellectuelles très inégalement développées, faibles dans leur ensemble et remarquables par certaines aptitudes spéciales ; ils ont montré des dispositions exceptionnelles pour le dessin, le calcul, la musique, la sculpture ou la mécanique… et à côté de ces facultés isolément développées qui les ont fait passer pour des petits prodiges, ils ont offert la plupart du temps d’énormes lacunes dans leur intelligence et une faiblesse vraiment radicale des autres facultés ».