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Page:Nordau - Les mensonges conventionnels de notre civilisation, Alcan, 1897.djvu/15

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En Autriche-Hongrie, dix nationalités sont aux prises les unes avec les autres, et cherchent à se faire le plus de mal possible. Dans chaque province, presque dans chaque village, les majorités écrasent les minorités ; quand celles-ci ne peuvent plus résister, elles feignent la soumission avec la rage dans le cœur et en souhaitant même la destruction de l’empire, comme l’unique moyen de sortir d’une situation intolérable.

La Russie en est arrivée au point qu’on la croirait revenue à la barbarie primitive. L’administration a perdu tout sentiment de solidarité publique, et les employés, loin de penser aux intérêts du pays et du peuple, ne songent qu’à leurs intérêts propres ; tous les moyens leur sont bons : rapine et vol, vénalité et trafic de la justice. Les gens instruits cherchent dans le nihilisme une arme désespérée ; ils risquent mille fois leur vie pour amener, par la dynamite ou le revolver, le poignard ou l’incendie, le chaos sanglant que leurs rêveries fiévreuses leur montrent comme condition indispensable d’un nouvel ordre social. Les hommes d’État, voulant guérir cette effroyable maladie, ont recours aux remèdes les plus étranges. L’un voit le salut dans l’émancipation du peuple russe et dans l’établissement du régime parlementaire ; l’autre, n’ayant foi que dans l’asiatisme, réclame la suppression de toute importation européenne et l’affermissement du despotisme héréditaire et sacré des tsars ; un autre croit encore à l’efficacité d’un traitement dérivatif et prône la guerre à outrance contre l’Allemagne, l’Autriche, la Turquie, contre le monde entier, s’il le faut. Et pendant que les médecins discutent, la masse du peuple se livre au pillage et au meurtre des juifs ; elle démolit leurs demeures, rase leurs synagogues, et jette en même temps des regards d’envie sur les châteaux seigneuriaux.