Page:Nordau - Les mensonges conventionnels de notre civilisation, Alcan, 1897.djvu/17

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restent dans leur misérable pays, ils s’inquiètent entre eux du titre légal des grands propriétaires fonciers, à qui ils vendent pour cinquante centimes par jour la moelle de leurs os. Depuis l’unification de l’Italie, la jeunesse n’a plus devant elle un but fixe et traditionnel, et l’Irredenta cherche à lui offrir un idéal nouveau. Les secrètes souffrances du peuple se trahissent au sud par des signes appelés la Camorra et la Maffia, en Toscane par le fanatisme religieux et le christianisme communiste primitif.

La France est de tous les pays de l’Europe celui qui, pour le moment, est peut-être en droit de se féliciter le plus de sa santé politique. Mais, là aussi, que de dispositions morbides, que de germes de maladies ! À tous les coins de rues, dans les grandes villes, des orateurs populaires prêchent avec véhémence le partage des biens et l’emploi du pétrole ; le quatrième État s’apprête, tantôt bruyamment, tantôt en silence, à s’emparer du gouvernement et à chasser des emplois et des sinécures, du parlement et des municipalités, la bourgeoisie qui, depuis 1789, tient seule le pouvoir. Les anciens partis, qui voient venir le choc inévitable, veulent résister, mais timidement, sans espoir, sans unité, par des complots cléricaux, monarchiques et militaires.

Il est inutile de nous arrêter aux petits pays. Le nom de l’Espagne éveille aussitôt l’idée du carlisme et du cantonalisme. Celui de la Norvège fait songer au conflit entre le gouvernement et la représentation nationale, conflit qui contient la république comme le fruit renferme le pépin. Le Danemark a le parti des paysans et les crises ministérielles chroniques ; la Belgique a son ultramontanisme armé. Tous les pays, les puissants comme les faibles, ont chacun leur grave plaie ; ils croient trouver sinon le salut, du moins un soulage-