Page:Nordau - Les mensonges conventionnels de notre civilisation, Alcan, 1897.djvu/18

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ment, en sacrifiant chaque année, avec une anxiété croissante, des milliards pour le militarisme. C’est ainsi que les grands de la terre, au moyen âge, espéraient pouvoir guérir d’une maladie dangereuse en offrant leurs biens à l’Église.


II

L’opposition entre les gouvernements et les peuples, la colère des partis politiques les uns contre les autres, la fermentation dans les différentes classes sociales, tout cela n’est qu’une forme de la maladie générale de l’époque. Celle maladie est la même dans tous les pays, quoique dans chacun elle porte un autre nom ; elle s’appelle tour à tour nihilisme, fénianisme, socialisme, antisémitisme ou Irredenta. Une forme beaucoup plus grave encore de cette maladie, c’est le profond mécontentement et la mélancolie qui, indépendamment des attaches nationales ou autres, sans égard aux frontières politiques et à la situation sociale, remplissent l’âme de tout homme qui est au niveau de la civilisation contemporaine. C’est la note caractéristique de notre époque, comme la joie naïve de l’existence est celle de l’antiquité classique, et la dévotion celle des premiers siècles du moyen âge. Chaque individu sent un malaise, une irritation, qu’il attribue, s’il n’en cherche pas la raison à l’aide de l’analyse, à mille causes accidentelles et toujours erronées. Il est amené à critiquer durement, quand il ne les condamne pas, toutes les manifestations de la vie sociale. Cette impatience, que les impressions extérieures ne font qu’irriter et exaspérer, les uns la nomment nervosité, les autres pessimisme, d’autres encore scepticisme. Les