sentimentalité maladive ; il doit présenter des êtres revêtus de notre costume et vivant de notre vie, tels que nous les désirons, mais tels que personne n’en a jamais vu.
Depuis fort longtemps, la littérature anglaise a cessé de reproduire la réalité. Quand elle ne décrit pas avec un plaisir sénile des crimes et des infamies de toute sorte — meurtres, brigandages, vols, séductions, captations d’héritage, — elle montre un monde modèle à l’usage des gens bien pensants, un monde où les aristocrates sont beaux, fiers, sages, généreux et riches, où les bourgeois sont pieux et pleins de soumission envers les nobles, où les gens vertueux sont félicités avec complaisance par les comtes et les barons, où les méchants sont mis sous les verrous par la police : un monde, en un mot, qui est une idéalisation naïve de l’état actuel de la société anglaise, quand cet état craque dans tous ses joints et qu’il est intérieurement déjà vermoulu et mort.
La littérature française semble au premier coup d’œil ne pas entrer dans le cadre général ; mais au premier coup d’œil seulement. Sans doute, elle ferme de parti pris son horizon au présent et au réel ; elle se refuse à tout retour au passé, à toute aspiration vers l’avenir, à un idéal meilleur, ou en tout cas nouveau. Elle sacrifie à un principe artistique pour lequel elle a trouvé la dénomination de naturalisme. Mais regardons-y de plus près : le naturalisme est-il une preuve de satisfaction à l’égard de ce qui existe, et, dans ce sens, est-il en opposition avec l’idéalisme pseudo-historique et fantastique que je regarde comme une manifestation de dégoût pour la réalité, et une aspiration à s’élever au-dessus d’elle ? Quels sujets traite le naturalisme, avec un exclusivisme dont on lui a fait un reproche ? Nous présente-t-il des tableaux de bonheur ? Nous peint-il les beaux et joyeux côtés de la vie ? Nulle-
