Page:Nordau - Les mensonges conventionnels de notre civilisation, Alcan, 1897.djvu/24

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traits de sensualité et de libertinage qui ne manquent dans aucun tableau contemporain de ce genre, et qui agit sur un spectateur aux sens impressionnables à peu près comme la perfide insinuation : « Oh ! si le monde savait tout », que dans un salon une commère glisse dans l’oreille de son voisin, sur la vertu vantée d’une dame de leur connaissance. L’art ancien prend plaisir au sujet qu’il traite, l’art nouveau montre de l’aigreur et du mécontentement contre la nature. Celui-là exalte l’objet, celui-ci s’en plaint. L’un est un perpétuel dithyrambe, l’autre une critique sans fin, et souvent injuste. L’idée fondamentale dont procèdent tous les deux est, pour l’un, que nous vivons dans le plus beau des mondes, et, pour l’autre, que notre monde ne saurait être plus laid.

Dans la philosophie, le pessimisme est à la mode, dans celle des écoles comme dans celle des lettrés qui, sans en faire leur occupation spéciale, s’intéressent pourtant aux grands problèmes de la connaissance humaine. Schopenhauer est Dieu, et Hartmann est son prophète. Le positivisme d’Auguste Comte ne fait pas de progrès comme doctrine et ne gagne pas de nouveaux adhérents, parce que ses partisans eux-mêmes ont reconnu que la méthode de Comte est trop étroite et sa tendance trop peu élevée. Les philosophes français n’étudient plus guère que la psychologie, ou, plus exactement, la psycho-physiologie. La philosophie anglaise mérite à peine encore le nom de métaphysique, puisqu’elle a renoncé à sa tâche la plus sublime : la recherche d’une conception satisfaisante de l’univers ; elle ne s’occupe plus que de questions pratiques de second ordre ; John Stuart Mill s’est renfermé essentiellement dans la logique, c’est-à-dire dans la morphologie de la pensée humaine ; Herbert Spencer représente la science sociale, c’est-à-dire les questions intellectuelles et morales concernant la vie au sein de la